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Tombe de Thoutmôsis II : la découverte inattendue
[ >> Ecouter sur le site de France Culture ]
par : Vincent Charpentier, Antoine Beauchamp
Avec :
- Aude Gräzer Ohara : Archéologue, égyptologue, épigraphiste, chercheuse à la New Kingdom Research Foundation
On sait peu de choses sur le pharaon Thoutmôsis II, ce quatrième pharaon de la XVIIIe dynastie qui régna en Égypte il y a 3 500 ans environ.
Mort prématurément, il a eu au moins deux enfants, une fille Néférourê, avec sa première épouse - et demi-sœur - la célèbre Hatchepsout, et un fils d’une deuxième épouse, nommée Iset, fils qui deviendra le non moins illustre pharaon Thoutmôsis III.
L’emplacement de la tombe de Thoutmôsis II était jusqu’alors inconnu et aucun élément de son équipement funéraire n’avait pu être identifié parmi les collections égyptiennes présentes à travers le monde. Si on a longtemps cru que la momie retrouvée en 1881, dans la cachette royale de Deir el-Bahari était la sienne, cette attribution est loin d’être assurée, notamment du fait de l’âge estimé de la momie qui ne semble pas concorder avec l’âge maximum que Thoutmôsis II aurait eu à sa mort.
Une tombe retrouvée à quelques kilomètres de la Vallée des rois
En 2022, une équipe britannico-égyptienne de la New Kingdom Research Foundation (rattachée à l’Université de Cambridge et dirigée par Piers Litherland) a réalisé des fouilles sur la rive ouest de Louqsor, dans l’une des vallées (ou ouadis) occidentales de la montagne thébaine, à quelques kilomètres à vol d’oiseau d’un autre célèbre ouadi - la Vallée des Rois. Là, dans cette zone connue pour abriter les sépultures des épouses, enfants et membres de l’entourage proche des rois de la XVIIIe dynastie, l’équipe de la NKRF a fini par découvrir, au pied d’une falaise, la tombe C4 aménagée dans le sol de l’ouadi. Au bout d’un escalier taillé dans la roche se succédaient une série de salles encombrées de débris issus de l’effondrement des parois et des plafonds. Parmi les débris et sur les parois de la chambre funéraire, située tout au fond de la tombe, les archéologues ont rapidement observé divers signes, en particulier les restes très endommagés d’un décor peint caractéristique fait d’un ciel étoilé au plafond et de textes et scènes funéraires aux murs, indiquant qu’ils étaient probablement là en présence du tombeau d’un roi. Sous les débris en revanche, aucun signe évoquant un pillage mais plutôt le vidage méthodique et probablement officiel du contenu de la tombe suite à l’inondation accidentelle de la sépulture, sans doute quelques années seulement après l’inhumation. Les tempêtes de pluie sont un phénomène épisodique dans ces ouadis et peuvent entraîner la formation de cascades et de torrents. Parmi les quelques artefacts oubliés sur place lors du déménagement du corps du défunt et de son équipement furent retrouvés des restes de céramiques rituelles, d’offrandes alimentaires et de vases en albâtre inscrits attestant qu’une inhumation avait bien eu lieu dans cette tombe. Le lieu où furent transférés l’essentiel du contenu de la tombe et la dépouille du souverain demeure cependant une énigme, une énigme que l’équipe de Piers Litherland espère peut-être parvenir à résoudre dans les années qui viennent.
Des éléments matériels peu nombreux, mais riches d’information : Thoutmôsis II avait bien été inhumé ici
Si l’état actuel de la tombe C4, endommagée et vidée de son contenu, peut sembler austère, les rares artefacts et éléments matériels trouvés à l’intérieur et à ses abords ont néanmoins livré de précieux renseignements sur l’identité de l’occupant des lieux. Des fragments d’objets inscrits au nom du pharaon Thoutmôsis II « décédé » et de la grande épouse royale Hatchepsout présentée comme l’instigatrice de la réalisation de la tombe ont pu être réassemblés.
Ainsi, 100 ans presque jour pour jour après la découverte par Howard Carter de la tombe de Toutânkhamon, célèbre pharaon de la XVIIIe dynastie, l’équipe de la NKRF, vient donc de découvrir la sépulture de Thoutmôsis II que l’on pensait perdue et de réaliser au passage l’une des plus belles découvertes de ces dernières décennies en Égypte.
Une découverte dans la découverte : les plus vieux fragments du Livre de l’Amdouât ?
Parmi les autres belles découvertes réalisées dans ce tombeau de Thoutmôsis II ont été retrouvés de très nombreux fragments de scènes et de textes funéraires qui ornaient les murs de la chambre funéraire et qui sont tous extraits du Livre de l’Amdouât. Ce texte religieux funéraire, qui décrit le voyage nocturne du dieu solaire dans le monde souterrain de la Douât, revêtait une importance particulière pour les anciens Égyptiens notamment pour son rôle dans le processus de régénération et de renaissance du roi défunt. L’on pense que ce texte qui n’apparaît dans aucune tombe avant l’époque thoutmoside pourrait avoir été composé à cette époque. Par l’originalité de leur composition qui dénote un caractère un peu « expérimental », les extraits du Livre de l’Amdouât découverts dans la tombe C4 et qui sont actuellement à l’étude par notre invitée, l’archéologue et égyptologue Aude Gräzer Ohara, pourraient constituer la plus ancienne version connue de ce texte.