A propos Bruce Clarke :
Plasticien et photographe, Bruce Clarke est né en 1959 à Londres. C’est aux Beaux-Arts de l’Université de Leeds, dans les années quatre-vingt, qu’il est initié au mouvement Art & Language animé par Michael Baldwin, David Bainbridge, Terry Atkinson, Harold Hurrell. S’inscrivant dans la continuité de ces pionniers de l’art conceptuel, son œuvre traite de l’histoire contemporaine, de l’écriture et de la transmission de cette histoire pour stimuler une réflexion sur le monde contemporain et ses représentations. Résolument ancrée dans un courant de figuration critique, sa recherche plastique intègre les codes pour mieux les retourner contre les appareils de pouvoir et d’injustice.
Bruce Clarke est un artiste engagé. Figure importante du mouvement anti-apartheid en France, au sein de la Rencontre Nationale Contre l’Apartheid, il devient dès son arrivée à Paris l’un des acteurs de la mobilisation de l’opinion publique française contre le régime. Parallèlement, il suit l’évolution de la guerre au Rwanda et des signes avant-coureurs du génocide puis participe à la mise en place d’un collectif pour la solidarité avec le peuple rwandais. C’est lors d’un reportage photographique effectué à la demande de ce groupe quelques semaines après le génocide, qu’il est confronté à l’horreur. Il décide alors de créer sur un site proche de Kigali, Le Jardin de la mémoire, un mémorial en forme d’installation monumentale, projet réalisé depuis 2000 avec le concours des familles ou des proches des victimes et soutenu par la société civile, les institutions rwandaises et l’UNESCO. Egalement au Rwanda, il a travaillé sur un projet pour la 20ème commémoration du génocide en 2014, les Hommes debout : www.uprightmen.org. Ce projet a également été réalisé ailleurs dans le monde dans une vingtaine d’expositions (Genève, Lausanne, Bruxelles, Paris, Ouidah, Montréal etc.).
Après deux longs séjours en Inde, il travaille à partir de 2011 sur un projet qui s’appelle « People in the Crowd » où il tente d’évoquer la force de la foule comme force de changement dans le monde.
Artiste en résidence invité par le Conseil Général de Guadeloupe, il a réalisé l’exposition Fragments d’une Histoire de Demain sur le lien entre l’esclavage, le colonialisme et la mondialisation. Collaborateur du Fest’Africa à Lille pour le projet Rwanda : Écrire, filmer, peindre par devoir de mémoire, il travaille avec l’Afrika Cultural Centre de Johannesburg et anime des ateliers d’arts plastiques en Afrique du Sud, Ethiopie, Rwanda, Bénin, Tanzanie et en France. Il a fait paraître Dominations aux éditions Homnisphères (2006).
En tant que photographe, il publie des reportages sur l’Afrique du Sud, la reconstruction du Rwanda, le retour des réfugiés libériens et la Palestine.
Il est représenté par ARTCO Gallery en Allemagne. Ses œuvres sont exposées en Europe, en Afrique et aux Etats-Unis.
Expositions personnelles (sélection)   Â
2019    Fantômes de la Mer, Alliance française Johannesbourg
2019 Â Â Â Predators and Other Friends, Galerie Art-Z, Paris
2019    Lifting the Veil, Théâtre royal de Marrakech, Maroc
2018 Â Â Â Birth of an Icon, Kloser Contemporary Art, Anvers, Belgique
2018 Â Â Â Front Line, Espace Anis Gras, Arcueil
2018    Alliance française de Lusaka, Zambie
2017    Fantômes de la Mer, ARTCO Gallery, Aix-la Chapelle, Allemagne
2017    New Horizons, Cloître des Billettes, Paris,
2017    Mémoires vives et Hommes debout, Musée de Coutances, France
2016    Les Fantômes de la Mer, Institut français, Nouakchott, Mauritanie
2015   Médiathèque de Strasbourg, France, Les Hommes debout.
2015   « Le travail rend libre » Galerie KO 21, Paris
2015   Daily Violence, Médiathèque de Lormont, France
2014Â Â Â Humanities Gallery Out of Africa, Sitges, Barcelone, Espagne
2014   En toute impunité, Les Naufragés du Temps, St Malo, France
2014   Les Hommes debout, exposition simultanée dans les villes de Kigali, Lausanne, Genève, Bruxelles, Paris, Limoges, Liège, Ouidah, Ivry, Lille….
2013Â Â Â Galerie Julio Gonzalez, Precarious Lives, Arcueil
2013 Â Â Â Galerie le Purgatoire, Paris
2013 Â Â Â Janus Gallery, Montreux, Suisse
2013 Â Â Â M.I.A. Gallery, Seattle, Etats-Unis
2013   Corps et Ames, Grenoble, Maison de l’International
2012 Â Â Â Artium Gallery, Luxembourg
2012    Fondation Zinsou, Bénin
2011   Who’s Afraid , Musée des Arts Derniers, Paris
2010   Abbaye de Neumünster, Luxembourg
2010Â Â Â Artium Gallery, Luxembourg
2010Â Â Â Bekris Gallery, San Francisco, Etats-Unis
2010   Musée des Arts Derniers, Paris, France
2009   Salon du Livre de Genève, Suisse
2007   Autre(s) Galerie l’Art et la Paix, France
2006   Musée des Arts Derniers, Paris, France
2006Â Â Â Galerie Arcima, Paris, France
2006   Identités troubles, identités Métisses, Festival Plein Sud, Cozes, France
2005   Galerie Arrêt sur Image, Bordeaux, France
2004   Je vous écris du Jardin de la Mémoire - installation, Dak’Art off, St Louis, Sénégal
2004   Galerie Les Naufragés du Temps, St Malo, France
2002   Union des Arts Plastiques, Artiste invité, St-Etienne-du-Rouvray, France
2002   Fragments d’une histoire de demain, L’Artchipel, Basse-Terre, Guadeloupe
2001   Centre Rémy Nainsouta, Guadeloupe
2000   Je vous écris du Jardin de la Mémoire - Installation, Galerie Porte 2a, Bordeaux, France
2000   Château de St-Ouen, Saint-Ouen, France
1999   Centre Culturel Français, Kigali, Rwanda
1999   Fragments d’Histoire, Grenoble International, Grenoble, France
1997Â Â Â Galerie Rayon vert, Nantes, France
1997   Ambassade d’Afrique du Sud, Paris
1997   Musée de Romans, Romans, France
1996Â Â Â Galerie Marina, Avignon, France
Expositions collectives (sélection)  Â
2019Â Â Â Urban Art Fair, Paris
2018Â Â Â Art Paris 2018, Grand Palais Paris
2018Â Â Â Fusions, Bordeaux, avec Migrations Culturelles 2a (MC2a)
2017Â Â Â Galerie Vallois, (avec l'artiste Aston) Paris,
2017Â Â Â AKAA Art Fair, Paris
2016   Hommage à Dak’Art, Martigny, Suisse
2016   Subabiennale, Dak’Art Off, Sénégal. Invité par AKAA
2016Â Â Â Targets, ArtCo Gallery, Aix-la-Chapelle, Allemagne
2016Â Â Â Cape Town Art Fair, Le Cap Johannesburg
2015   1:54, Foire d’art Contemporain, New York, USA
2015    Musée d’arts Afro-Brésilien, Sao-Paolo, Brésil
2015Â Â Â Global Topics, ArtCo Gallery, Aix la Chapelle, Allemagne
2014   FNB Foire d’art Contemporain, Johannesburg
2013 Â Â Â Etonnants Voyageurs Festival, Saint-Malo, France
2012   Iwalewa Haus – Bayreuth, Allemagne
2012   Boxe Boxe, Fondation Blachère – Apt, France
2010   Festival Couleur Café, Bruxelles, Belgique
2009Â Â Â Festival Africajarc, Carjac, France
2008   Musée des Arts Derniers, Paris, France
2008   Contemporary Art Fair, Espace Pierre Bergé, Bruxelles, Belgique
2007Â Â Â Biennale de Dar-es-Salaam, Tanzanie
2004-5Â Â Â La Galerie.be, Bruxelles, Belgique
2004-5   Musée des Arts Derniers, Paris, France
2004   Galerie Ephémère, Montigny-le-Tilleul, Belgique
2003   Galerie L’Essor, Le Sentier, Suisse
2002   Dak’art Biennale de Dakar, Sénégal
2001   Musée d’Art et d’Histoire de Belfort - avec Edith Convert, Belfort, France
2001   L’Artiste Face au Réel, Maison de la Culture de la Nièvre, Nevers, France
1998Â Â Â Kulturfabrik, Luxembourg
1995   Africanités, Galerie Saintonge, Paris, France
1995   art’CRA, Accra, Ghana
1994   De l’Afrique à l’Afrique, Galerie Yahia, Tunis, Tunisie
"Words aren't enough", "I am therefore I act", "Language at war", "Piège de son histoire".
Il suffit de relever quelques titres de ses oeuvres pour se convaincre qu'il est surtout concerné, comme il le dit lui-même, par le fait que la création plastique "pourrait agir comme un tremplin qui rendrait les préoccupations du monde actuel plus présentes, elle devrait s'impliquer de façon plus incisive et critique et permettre ainsi l'effraction du sens politique des événements dans le "monde de l'art". Mais, comme on le sait, ce n'est pas l'art qui change le monde, il ne peut que parler, montrer.
Notre DameUNESCO
Un engagement militant
"Notre humanité exige de donner, ne serait-ce que pour quelques instants, visage, nom, voix et, partant, mémoire vive aux centaines de milliers de victimes pour qu'elles ne soient pas simplement synonymes de chiffres, au pire, précipitées dans les caveaux de l'oubli et, au mieux, dormant dans les colonnes de quelques tableaux plus ou moins officiellement reconnus par la conscience que l'on dit collective."
(Abdourahman A. Waberi, Moisson de crânes, Textes pour le Rwanda, p. 17).
Comme tout artiste, un peintre n'est pas isolé du contexte socio-politique qui l'environne. Sa démarche de plasticien est en soi un engagement, un commentaire critique sur le monde. Chez Bruce Clarke, le travail plastique est inséparable d'un militantisme politique touchant en particulier à l'Afrique du Sud dont il a épousé les luttes au sein d'organisations anti-apartheid et avec l'ANC (African National Congress). Il continue d'ailleurs à travailler sur des projets culturels en Afrique en collaborant à l'Afrika Culturel Centre de Johannnesburg.
Dès le début des années 1990, Bruce Clarke suit à Paris, avec des amis africains en exil, l'évolution de la guerre au Rwanda et les signes avant coureurs du génocide puis est confronté à l'horreur en août -septembre 1994 lors d'un voyage à la demande du collectif des associations avec lesquelles il travaillait. C'est ainsi qu'a germé un projet de mémoire du génocide "le Jardin de la mémoire", qui a séduit la société civile et les autorités et qui dépasse la seule production artistique.
Ce projet est en cours de réalisation près de Kigali :
"Je suis allé la première fois au Rwanda comme photographe en août 1994, pour un collectif d'associations auquel j'appartenais et où je militais - le Collectif Contre toute Ingérence étrangère au Rwanda. Pour moi c'est important de dire, mais aussi, et surtout, d'agir. On ne pouvait pas laisser passer ça comme si on ignorait ce que se passait, et nous baisser les bras dans un réflexe de dépassement, de passivité. Les journalistes étaient descendus tous dans des camps de réfugiés dans les pays limitrophes du Rwanda où s'abritaient les génocidaires protégés par des populations civiles en partie complice mais aussi retenues comme bouclier humain. Les médias transformaient un génocide prémédité en crise humanitaire, mais personne ne parlait de la réalité au Rwanda, c'est-à -dire le traumatisme des rescapés et d'un pays qui était entièrement à reconstruire."
"Après ce premier voyage, j’ai poussé la réflexion sur l’après-génocide plus loin. Quel rôle peut jouer l’artiste dans la conservation de la mémoire, réelle, vivante ? Peut-il contribuer aussi à la reconstruction psychologique d’un peuple traumatisé ? Il fallait selon moi rendre la réalité tangible du génocide car ce que l’on voyait, ce n’était pas des êtres humains, c’était une abstraction des êtres humains : c’étaient des ossements, des momies, des cadavres momifiés. Mais à un certain moment, ces personnes ont vraiment existé, et c’étaient des personnes comme vous et moi, et qui avaient toute une vie derrière, vie qui, bien sûr, étaient totalement annihilée maintenant. "
"Ce fut le départ de ma réflexion. Il y a eu un génocide au Rwanda. Environ un million de personnes. Mais chaque personne tuée était un individu avec un visage et il occupait une place. Wole Soyinka, l’écrivain nigérian a dit que lorsqu’une personne est tuée, c’est une tragédie mais quand mille personnes sont tuées, ce n’est qu’une statistique. C’est cela qu’il fallait à tout prix éviter. Il est fondamental de mettre des visages sur les victimes de tragédies telles qu’au Rwanda, en Palestine ou ailleurs dans le monde. Le projet du Jardin de la Mémoire du Rwanda est donc parti d’une réflexion sur la manière dont l’artiste peut intervenir dans une situation réelle. J’avais deux préoccupations au début de ce projet : comment rendre compte de l’énormité de ce que c’est qu’un génocide : la taille était de 800 000 à 1 million de personnes tuées. Et en même temps reconnaître l’humanité de chaque victime."
"En tant qu’artiste étranger, je pensais que je n’avais pas du tout le droit de travailler avec une matière aussi lourde de sens que des restes humains. Je ne voulais pas y toucher. Pour des raisons évidentes. Il fallait prendre une distance. Et cette distance, comment est-ce qu’on la prend en tant qu’artiste ? J’ai alors pensé qu’on pouvait le prendre en trouvant une matière – en l’occurrence, la pierre – qui est abstraite et lourde de sens. C’est de cette façon que je me suis dit que la pierre serait la matière première du Jardin de la mémoire. Mais ce jardin ne devait pas être un lieu qui évoquait l’horreur, il devait être un lieu de recueillement où les gens puissent venir s’y promener. Un jardin, c’est un lieu de renaissance, ce n’est pas un cimetière, ce n’est pas un lieu de mort, même si c’est très lourd de sens. Par ailleurs, sa réalisation ne pouvait se faire qu’en liaison étroite avec la société civile rwandaise : les rescapés, les femmes… "
"Le Jardin de la mémoire est une œuvre collective. Même si je suis le concepteur du projet, il ne pouvait avoir du sens que s’il y avait beaucoup de personnes qui participaient à sa réalisation et que s’il y avait une compréhension des personnes qui étaient impliquées dans ce projet."
"Le concept de base est très simple : un acte individuel de mémoire en souvenir d’une victime. Et cet acte doit être posé par un proche ou par la famille d’une victime. Cet acte individuel, c’est la pose d’une pierre avec une marque. La personne qui met la marque sur la pierre n’est pas obligée de dire ce que cela signifie. Cela peut être un nom, ou quelque chose d’abstrait, mais ce doit être une inscription en mémoire d’une victime. Un tel acte individuel de mémoire est probablement un moment dans le processus de deuil. Et c’est donc cet acte individuel que l’on veut "tout simplement" multiplier par un million : faire une œuvre collective composée d’un million de pierres, chacune étant individualisée et posée par un proche d’une victime du génocide. Donc selon un schéma géométrique qui change et évolue."
Le Jardin de la Mémoire a connu une première inauguration le 5 juin 2000 au terme d’une manifestation culturelle internationale importante, Fest’Africa au Rwanda. Le projet est toujours en cours.
Quelle est la part de l'engagement de la culture dans la lutte ?
Comment l'art peut-il influer sur ou commenter le cours de l'histoire ?
Telles semblent être les questions fondamentales que se pose ce plasticien dans sa vie et son oeuvre.
Texte : Michèle Baj-Strobel